Propriété en nom ou en société
Propriétaire en nom ou en société : avantages et inconvénients en fonction du contexte intercantonal ou international
Robert-Pascal FONTANET, notaire à Genève, et Philippe FRESARD, notaire et avocat à Berne
Il y a deux manières d’être propriétaire d’un bien immobilier : soit directement à son nom, soit par l’intermédiaire d’une personne morale dont on a la maîtrise. La première solution a le mérite de la simplicité, mais est-elle toujours préférable ? En adoptant la seconde, vous transformez, dans votre fortune, un bien immobilier en biens mobiliers : les actions ou les parts de la société. Si votre domicile, votre société et l’immeuble se situent tous trois au même endroit, les conséquences ne seront probablement pas majeures, en Suisse en tout cas.
Du reste sur le plan fiscal, il est en règle générale plus avantageux d’être soi-même propriétaire, plutôt que via une personne morale : c’est pour cette raison, avec un certain nombre d’avantages fiscaux momentanés à la clef, que beaucoup de sociétés immobilières ont été liquidées entre 1995 et 2003. Cependant, les conséquences peuvent être tout autres, et spectaculaires, si l’opération a lieu sur le plan international.
En droit civil
Lorsque l’on est propriétaire immobilier, les règles de droit civil qui s’appliquent sont fréquemment celles du lieu de situation de l’immeuble. Ainsi, si vous êtes propriétaire d’un pied-à-terre sur la Côte d’Azur, c’est le droit français qui détermine quels sont à cet égard vos héritiers, quelle est votre marge de manœuvre pour en désigner d’autres, quelles sont les formalités nécessaires au transfert ou au partage.
Or, il faut savoir qu’en droit suisse il est loisible de conclure un pacte successoral avec ses héritiers et de convenir tout à fait librement comment se réglera la succession. Vous pouvez donc attribuer vos parts – donc votre pied-à-terre – à qui vous voulez, sans risquer de contestation après votre décès. A l’inverse, une telle manière de faire n’est admise que de façon restreinte par le droit français si vous êtes propriétaire en nom.
En droit suisse encore, il est possible de désigner un exécuteur testamentaire qui aura pouvoir de vendre seul vos biens, selon vos instructions ou selon sa propre appréciation, et cela même si vos héritiers ne sont pas tous d’accord. Là non plus, le droit français n’offre pas cette faculté en matière immobilière, si vous laissez un héritier réservataire.
En revanche, lorsque le bien immobilier est propriété d’une personne morale dont vous détenez les parts, ce sont ces dernières qui dépendent de votre succession et non le bien immobilier lui-même. Ces parts constituent des biens meubles, soumis au droit applicable au lieu de votre domicile, ou, mieux encore, à celui que vous aurez choisi dans votre testament, si vous êtes de nationalité étrangère ! Vous pouvez profiter ainsi d’une souplesse qui serait inconnue par le droit civil applicable au lieu de situation de l’immeuble.
Et en droit fiscal?
Dans ces hypothèses, la constitution d’une société immobilière peut se montrer extrêmement intéressante du point de vue fiscal aussi.
En effet, il n’y a plus en Suisse de taxation des successions ni des donations dévolues au conjoint, et dans tous les cantons sauf Appenzell (AI), Neuchâtel et Vaud, pas de taxation non plus des descendants. Dans celui de Soleure et aux Grisons, il existe un impôt modéré sur la masse successorale. Au surplus, les abattements sont considérables et ces droits sont plutôt modestes en Suisse, en comparaison avec l’étranger.
En droit fiscal français par exemple, les héritiers en ligne directe doivent payer de 5 à 40 % d’impôts, après abattements ! Depuis le 22 août 2007, le conjoint survivant est exonéré.
Relevons encore que les conventions internationales en vue d’éviter les doubles impositions en matière de successions ne s’appliquent pas aux donations. Il faut donc user de prudence !
Les coûts et les formalités
Pour profiter de ces avantages, il faut disposer d’une société immobilière, appelée « SCI », société civile immobilière, en France. Il est judicieux d’avoir recours à un notaire français pour la constituer (à un coût de l’ordre de 2’500 €, selon la valeur du bien, pour une prestation basique).
Si vous avez opté pour cette solution au moment de l’achat, il ne vous en coûtera rien de plus. En revanche, si vous êtes déjà propriétaire du bien que vous transférez à votre nouvelle SCI, des frais supplémentaires sont à prévoir. Mais cela reste raisonnable puisque pour un immeuble valant 300’000 euros, cela revient à environ 7500 € (frais de constitution et de transfert).
Conclusion
La constitution d’une personne morale afin de détenir des biens immobiliers peut se révéler très intéressante pour vous, si ceux-ci se trouvent dans un pays dont le droit civil est plus contraignant, et/ou dans un pays ou un canton où le droit fiscal est moins favorable que celui de votre domicile. Même si vous n’avez pas adopté d’emblée cette solution, il est probable qu’elle en vaille aujourd’hui la peine.
Pour régler les choses de manière optimale, n’hésitez pas à consulter votre notaire.
Genève et Berne, le 01.01.2011