Succession : l’embarras du choix

Les binationaux pourront choisir dès le 1er janvier la législation qui s’appliquera à leur succession.

Jean-Louis est de nationalité suisse, habite à La Chaux-de-Fonds (NE) et possède des biens exclusivement suisses : un compte en banque, une puissante moto et une pendule neuchâteloise. Au jour de son décès et en vertu de son domicile, sa succession sera donc automatiquement soumise au droit.

En revanche, Manfred est double-national allemand et suisse. Il vit à Genève et possède, certes, des biens en Suisse, mais également une maison de vacances en France. Dans le cadre de la planification de sa succession, peut-il opérer un choix de loi et lequel ?

Jusqu’au 31 décembre 2024

La réponse est non. Théoriquement, Manfred pourrait pourtant vouloir que ce soit le droit allemand qui gouverne sa succession. Mais en l’état actuel de la législation suisse en matière de droit international privé, Manfred ne pourrait faire ce choix que s’il avait uniquement la nationalité allemande.

La raison est à rechercher dans le but défini à l’époque par le législateur helvétique d’éviter que certains Suisses ne puissent faire un choix de loi (parce qu’ils auraient deux ou trois nationalités) alors que d’autres n’auraient pas cette possibilité.

Cependant, une « révolution » s’est produite en août 2015 : l’entrée en vigueur de ce que l’on appelle le règlement européen sur les successions. Celui-ci a introduit de nombreuses règles (enfin) uniformes pour la plupart des pays de l’Union européenne, là où coexistaient les règles les plus diverses auparavant. Et ce règlement, ô surprise, s’est révélé plus libéral que le droit suisse pour toutes les personnes possédant plusieurs nationalités, leur permettant de choisir parmi celles-ci, sans limitation, la loi qui devait en définitive s’appliquer à leur succession.

Plus de liberté

C’est dans ce contexte que le législateur suisse, vexé de s’être fait dépasser par la droite, a décidé de s’aligner sur le nouveau droit européen. Il a donc partiellement modifié la loi fédérale sur le droit international privé, modification qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. À compter de cette date, toute personne domiciliée en Suisse pourra librement choisir entre le droit successoral de l’une ou l’autre de ses nationalités le jour où elle rédigera son testament.

Alors pourquoi changer de loi, me direz-vous ? Il faut savoir que les parts successorales légales des héritiers proches (conjoint survivant, descendant, ascendant, selon les constellations) varient d’un pays à un autre. Pire encore, les différents droits, même de pays proches, n’accordent pas les mêmes réserves héréditaires aux héritiers les plus proches, voire n’en accordent pas du tout (comme le Royaume-Uni). Ainsi, un choix de loi n’est pas anodin.

Points d’attention particuliers

Ce qui vient d’être dit souffre d’une limitation de taille qui concerne l’importante communauté des Italiens vivant en Suisse. Depuis 1868, en effet, un traité lie nos deux pays et, en vertu de ces règles spéciales, la succession d’une personne de nationalité italienne vivant en Suisse est légalement soumise au droit italien (alors que, selon les règles de droit commun, elle devrait être soumise au droit suisse), et inversement pour la Suissesse domiciliée en Italie : sa succession sera automatiquement soumise au droit suisse.

Enfin, pour la bonne bouche, toutes les questions de choix de loi susmentionnées touchent uniquement aux aspects civils de la succession. Les États ne tolèrent en effet pas de choix de loi successorale fiscale….

Frésard Philippe

Frésard Philippe

Notaire et avocat chez Kellerhals Carrard Zurich (ZH-DE)

à retenir

  • Les binationaux auront plus de liberté en matière de planification successorale en Suisse à compter du 1er janvier 2025.

    Seul le testateur est en droit de désigner un exécuteur testamentaire.

  • Les successions comportant une dimension internationale sont certes intéressantes, mais délicates, raison pour laquelle il est recommandé de consulter un notaire.

    Ses larges pouvoirs simplifient le règlement de la succession.

Publié dans le magazine générations par les notaires de swisNot